VALEUR VS LUXE

Publié le : 22 mars 2013 à 15h20

« C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante. » (Saint-Exupéry)

 

 

Les objets n’ont pas de valeur intrinsèque : c’est le temps qui la leur confère, ainsi que le travail et les soins qu’on leur consacre. Temps et travail sont intimement liés. En tant que décorateur, je suis d’accord avec Arnaud Berthoud lorsqu’il observe qu’« au temps correspond le travail. Le travail […] est d’abord la passion ou la souffrance du temps » (Une philosophie de la consommation). Passion entendue comme souffrance, effort, application, certes, mais premièrement, en ce qui concerne le travail artistique, comme amour. La décoration est avant tout un acte d’amour que l’artiste adresse à l’objet auquel il décide de consacrer son temps. Ce signe d’amour qu’est la décoration devient la marque de valeur d’un meuble.

 

Si l’on pense à l’origine (populaire) de cette pratique artistique, on retrouve les premiers meubles peints parmi le mobilier des jeunes mariés de campagne. Si le but principal de cette peinture est celui de masquer l’aspect pauvre et les défauts du bois, néanmoins les artisans amateurs cherchent un effet esthétique d’agrémentation de coffres, armoires, lits et berceaux, qu’égaient des décorations où la dominante est le style floral. Ces meubles peints représentaient souvent les seuls objets de valeur de ces familles modestes.

 

Je me sens plus proche de cet esprit et de cette pratique que du marché du luxe, considérant la valeur comme l’essence et le luxe comme le superflu. Peindre un meuble signifie pour moi racheter l’objet du cercle vicieux de la marchandise (acheter, exploiter, jeter), le recadrer (dans le sens où l’entend Paul Watzlawick : modifier la perception émotionnelle d’un objet en le présentant autrement et en lui donnant du sens) et lui restituer toute sa valeur.

Un objet de valeur ne peut pas être consommé : il est conçu pour durer et pour affirmer son sens au fil du temps. On peut s’en servir (un meuble est avant tout un objet utile), mais on peut en plus en jouir. A mi-chemin entre fonctionnalité et ornementation, un meuble peint est une richesse mais pas un article de luxe. J’entends par richesse tout objet que l’on possède « en vue du bonheur dans l’amitié avec soi-même » (Berthoud), par opposition aux biens de luxe qui répondent plutôt au goût de l’ostentation. Si l’objet de valeur, partie intégrante du quotidien de son propriétaire et de son identité même, contribue à entretenir la vie de celui-ci et à conserver son être dans la jouissance, l’objet de luxe, signe extérieur d’une abondance de moyens et d’argent, répond souvent à une logique d’appropriation et ingestion des choses - ce qui, en dernière analyse, fait du bien de luxe un symbole de pouvoir.

 

Le bien de luxe est un objet extraverti qui nécessite un publique. Comme le Vaniteux du Petit Prince, il est en quête perpétuelle d’un admirateur. C’est le regard d’autrui qui lui confère sa raison d’être, alors que l’objet de valeur ne se nourrit que de l’affection des êtres auxquels il est lié dans une relation intime et authentique. C’est un objet dont l’importance n’a pas besoin de reconnaissance. Lorsque je décore un meuble, objet indispensable à notre vie quotidienne, je vise à accroître son importance sans en altérer la nature, tout en surlignant sa valeur par ma peinture. La décoration est l’exaltation de la valeur de ces objets qui font, entre autres, notre richesse et notre bienêtre personnel : « Etre riche est d’abord le fait d’un individu qui dispose de ce qui lui est propre pour vivre et jouir de sa vie » (Berthoud).

(par Barbara Spanu)

 

 

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