La deuxième vie d'une vielle malle

Publié le : 20 juin 2013 à 17h20

 

« La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d'angle »

 

Pour les décorateurs aimant les défis, combles et greniers sont de véritables réservoirs de trésors. Ces endroits faisant partie de la maison mais séparés de nos pièces de vie jouent le rôle, si j’ose dire, d’inconscient collectif des générations s’y succédant : au fil du temps, nous confinons au fond de ces débarras tout ce qui est devenu vieux, inutile, encombrant, indésirable, le cachant à notre vue et le destinant à l’oubli. Le passé des familles, incarné par les objets qu’on y accumule et dont on ne se sert plus, est caché dans ces réceptacles de mystères que l’on explore comme des archéologues en quête du Graal.

 

C’est lors d’une de ces expéditions que j’ai eu pour la première fois l’idée de me servir artistiquement d’un support autre que la toile ou la table en bois. En arpentant le grenier d’une maison dans laquelle je venais de déménager, qui n’avait pas été vidé complètement, je suis tombé un jour sur une ancienne malle. L’adresse manuscrite du destinataire, une demoiselle de Châteauroux, était encore lisible sur le revêtement en toile qui tombait en lambeaux. Je n’ai jamais pu découvrir l’identité de cette inconnue dont j’avais pourtant sous les yeux la preuve de l’existence. Qu’avait transporté sa malle désormais vide ? Avait-elle, comme moi, quitté son pays pour la ville ? Avait-elle été heureuse dans son nouveau domicile, qui venait de devenir le mien ?

 

Cette trouvaille - une rencontre impossible dans un court-circuit temporaire – m’inspirait. Le moment était venu pour cette malle, qui avait sommeillé pendant des décennies, de sortir de sa cachette pour vivre une nouvelle vie. Elle avait besoin d’une nouvelle robe, comme une belle au bois dormant qui se réveille après un siècle se découvrant démodée. Je lui en ai fabriqué une en pigments de terre écologique, rouge et vert brodés de feuilles d’or pour célébrer sa sortie des ténèbres. Ainsi relooké, libéré de son enveloppe terne pour montrer la consistance de son ossature en bois, ce coffre a commencé sa deuxième existence sous le signe de la couleur.

 

Pour la première fois, j’avais expérimenté à quel point la décoration peut métamorphoser les objets. Mais, préalable à toute intervention visant à transformer un objet, une modification de notre attitude à l’égard des choses est indispensable. J’avais cru en ce coffre vieilli. Je l’avais accepté pour ce qu’il était avant d’en faire mon œuvre à moi« l’accueil est le premier moment de l’appropriation », d’après Arnaud Berthoud. A mes yeux, cet objet n’avait que terminé un premier cycle de vie : le fait de l’utiliser comme support artistique a été ma manière de lui donner une nouvelle raison d’être, de lui permettre de s’exprimer différemment.

 

Il est vrai que « nos préjugés en ce qui concerne le pur et l’impur, le propre et le sale, le sain et le malsain, renforcés par le conditionnement du système, déterminent notre comportement face aux déchets et s’opposent souvent à la réutilisation, à la récupération et au recyclage » (Serge Latouche, Le pari de la décroissance) ; sans quoi, pour quelle raison ce coffre, jugé inutilisable, aurait été relégué dans un coin sombre ?

 

Pour la première fois dans mon parcours artistique, la décoration devenait un acte de récupération et, en quelque sorte, de résistance au cercle vicieux de la marchandise (acheter – exploiter – jeter) imposé par notre société de consommation , « qui nous a habitués à ‘bazarder’ des produits encore parfaitement utilisables sous prétexte qu’ils sont ‘dépassés’ » (Latouche). L’élimination de la couche superficielle abîmée, remplacée par l’éclat de la couleur, a suffi pour permettre à ce coffre de conquérir sa place au soleil. Perdant son aspect fonctionnel, il a pu devenir un objet esthétique.

(par Barbara Spanu)

 

Malle ancienne décorée et peinte à la main, peintures ecologiques

 

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